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ses talens, de ses lumières, de l’ambition qu’il avoit eue de se signaler dans sa place en faisant le bien de l’État, je m’affligeai de sa retraite.

J’avois d’ailleurs pour Mme Necker la plus sincère vénération, car je n’avois vu en elle que bonté, sagesse et vertu ; et l’affection particulière dont elle m’honoroit méritoit bien que je prisse part à un événement dont je ne doutois pas qu’elle ne fût très affectée.

Lorsque je l’appris à Saint-Brice, les croyant déjà retirés dans leur maison de campagne à Saint-Ouen, je m’y rendis sur l’heure. Ils n’y étoient pas arrivés encore, et, poursuivant ma route, j’allois les trouver à Paris. Je les rencontrai en chemin. « Vous veniez nous voir ? me dit Necker ; montez dans notre voiture, et venez à Saint-Ouen. » Je les y accompagnai. Nous fûmes seuls toute la soirée avec Germany[1], frère de Necker, et ni le mari ni la femme ne me dissimulèrent leur profonde tristesse. Je tâchai de la diminuer en parlant des regrets qu’ils laisseroient dans le public, et de la juste considération qui les suivroit dans leur retraite ; en quoi je ne les flattois pas. « Je ne regrette, me dit Necker,

  1. Louis Necker (1730-1804) avait pris, pour se distinguer de son frère, le nom d’une propriété qu’il possédait aux environs de Genève.