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intérêt sensible. La critique elle-même étoit pour lui pleine d’égards et tempérée par des éloges. Elle n’en étoit, disoit-il, que plus adroite et plus perfide. Dans le repos le plus tranquille, il vouloit toujours ou se croire, ou se dire persécuté. Sa maladie étoit d’imaginer dans les événemens les plus fortuits, dans les rencontres les plus communes, quelque intention de lui nuire, comme si dans le monde tous les yeux de l’envie avoient été attachés sur lui. Si le duc de Choiseul avoit fait conquérir la Corse, ç’avoit été pour lui ôter la gloire d’en être le législateur ; si le même duc alloit souper, à Montmorency, chez la maréchale de Luxembourg, c’étoit pour usurper la place qu’il avoit coutume d’occuper auprès d’elle à table. Hume, à l’entendre, avoit été envieux de l’accueil que lui avoit fait le prince de Conti. Il ne pardonnoit pad à Grimm d’avoir eu sur lui quelque préséance chez Mme d’Épinay ; et l’on peut voir dans ses Mémoires comment son âpre vanité s’est vengée de cette offense.

Ainsi, pour Voltaire et pour lui, la vie avoit été perpétuellement, mais diversement agitée. Elle avoit eu pour l’un des peines souvent bien cuisantes, mais des jouissances très vives ; pour l’autre, ce n’étoient que des flots d’amertume, sans presque aucun mélange de joie et de douceur. Assurément à aucun prix je n’aurois voulu