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leur sûreté réelle : car le despotisme de la licence est mille fois plus redoutable que celui de l’autorité, et la populace effrénée est le plus cruel des tyrans. Il ne falloit donc pas que la Bastille fût détruite, mais que les clefs en fussent déposées dans le sanctuaire des lois.

La cour la croyoit imprenable ; elle l’auroit été, ou l’attaque et le siège en auroient coûté bien du sang, si elle avoit été défendue ; mais l’homme à qui la garde en étoit confiée, le marquis de Launey, ne voulut, ou n’osa, ou ne sut faire usage des moyens qu’il avoit d’en rendre la résistance meurtrière ; et cette populace, qui l’a si lâchement assassiné, lui devoit des actions de grâces.

De Launey avoit espéré d’intimider le peuple ; mais il est évident qu’il voulut l’épargner. Il avoit quinze pièces de canon sur les tours ; et, quoi qu’en ait dit la calomnie pour pallier le crime de son assassinat, pas un seul coup de canon de ces tours ne fut tiré. Il y avoit de plus, dans l’intérieur du château, trois canons chargés à mitraille, braqués en face du pont-levis. Ceux-ci auroient fait du carnage dans le moment que le peuple vint se jeter en foule dans la première cour ; il n’en fit tirer qu’un, et qu’une seule fois. Il étoit pourvu d’armes à feu de toute espèce, de six cents mousquetons, de douze fusils de rempart d’une livre