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prits et nos goûts fussent bien d’accord : j’affectois même d’opposer mes idées simples et vulgaires à ses hautes conceptions ; et il falloit qu’elle descendît de ces hauteurs inaccessibles pour communiquer avec moi. Mais, quoique indocile à la suivre dans la région de ses pensées, et plus dominé par mes sens qu’elle n’auroit voulu, elle ne m’en aimoit pas moins.

Sa société avoit pour moi un agrément bien précieux, celui d’y retrouver l’ambassadeur de Naples et celui de Suède, deux hommes dont j’ai le plus regretté l’absence et la perte. L’un, par sa bonhomie et sa cordialité, autant que par ses goûts et ses lumières, me rendoit tous les jours son commerce plus désirable ; l’autre, par sa tendre amitié, par sa douce philosophie, par je ne sais quelle suave odeur de vertu naïve et modeste, par je ne sais quoi de mélancolique et d’attendrissant dans son langage et dans son caractère, m’attachoit plus intimement encore. Je les voyois chez moi, chez eux, chez nos amis, le plus souvent qu’il m’étoit possible, et jamais assez à mon gré.

Heureux dans mes sociétés, plus heureux dans mon intérieur domestique, j’attendois, après dix-huit mois de mariage, les premières couches de ma femme, comme l’événement qui mettroit le comble à mes vœux. Hélas ! combien cruellement je fus trompé dans mes espérances ! Cet enfant,