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Au retour de l’église, où Chastellux et Thomas avoient tenu sur nous le voile nuptial, on voulut bien nous laisser seuls quelques momens ; et ces momens furent employés à nous bien assurer l’un l’autre du désir de nous rendre mutuellement heureux. Cette première effusion de deux cœurs que la bonne foi d’un côté, l’innocence de l’autre, et des deux côtés l’amitié la plus tendre, unissent à jamais, est peut-être l’instant le plus délicieux de la vie.

Le dîner, après la toilette, fut animé d’une gaieté du bon vieux temps. Les convives étoient d’Alembert, Chastellux, Thomas, Saint-Lambert, un cousin de MM. Morellet, et quelques autres amis communs. Tous étoient occupés de la nouvelle épouse ; et, comme moi, ils en étoient si charmés, si joyeux, qu’à les voir on eût dit que chacun en étoit l’époux.

Au sortir de table, on passa dans un salon en galerie, dont la riche bibliothèque de l’abbé Morellet formoit la décoration. Là, un clavecin, des pupitres, annonçoient bien de la musique ; mais quelle musique nouvelle et ravissante on alloit entendre ! L’opéra de Roland[1], le premier opéra

  1. Roland, tragédie lyrique de Quinault, réduite en trois actes par Marmontel, musique de Piccini, représentée le 17 janvier 1778.