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conseil et leur guide. En l’initiant dans ses secrets, et en se laissant diriger et quelquefois gronder par elle, on étoit sûr de la toucher par son endroit le plus sensible ; mais l’indocilité, même respectueuse, la refroidissoit sur-le-champ, et, par un petit dépit sec, elle faisoit sentir combien elle en étoit piquée. Il est vrai que, pour se conduire selon les règles de la prudence, on ne pouvoit mieux faire que de la consulter. Le savoir-vivre étoit sa suprême science : sur tout le reste, elle n’avoit que des notions légères et communes ; mais, dans l’étude des mœurs et des usages, dans la connoissance des hommes et surtout des femmes, elle étoit profonde et capable d’en donner de bonnes leçons. Si donc il se mêloit un peu d’amour-propre dans cette envie de conseiller et de conduire, il y entroit aussi de la bonté, du désir d’être utile, et de la sincère amitié. À l’égard de son esprit, quoique uniquement cultivé par le commerce du monde, il étoit fin, juste et perçant. Un goût naturel, un sens droit, lui donnoient en parlant le tour et le mot convenables. Elle écrivoit purement, simplement et d’un style concis et clair, mais en femme qui avoit été mal élevée, et qui s’en vantoit. Dans un charmant éloge qu’a fait d’elle votre oncle[1], vous

  1. Portrait de Mme Geoffrin, par M. L. M. (l’abbé Mo-