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père et d’en exalter le venin. Elle vouloit qu’on ne louât ses amis que très sobrement et par leurs qualités, non par leurs actions, car, en entendant dire de quelqu’un qu’il est sincère et bienfaisant, chacun peut se dire à soi-même : Et moi aussi, je suis bienfaisant et sincère. « Mais, disoit-elle, si vous citez de lui un procédé louable, une action vertueuse, comme chacun ne peut pas dire en avoir fait autant, il prend cette louange pour un reproche, et il cherche à la déprimer. » Ce qu’elle estimoit le plus dans un ami, c’étoit une prudence attentive à ne jamais le compromettre ; et, pour exemple, elle citoit Bernard, l’homme en effet le plus froidement compassé dans ses actions et dans ses paroles. « Avec celui-là, disoit-elle, on peut être tranquille, personne ne se plaint de lui ; on n’a jamais à le défendre. » C’étoit un avis pour des têtes un peu vives comme la mienne, car il y en avoit plus d’une dans la société ; et, si quelqu’un de ceux qu’elle aimoit se trouvoit en péril ou dans la peine, quelle qu’en fût la cause, et qu’il eût tort ou non, son premier mouvement étoit de l’accuser lui-même : sur quoi, trop vivement peut-être, je pris un jour la liberté de lui dire qu’il lui falloit des amis infaillibles et qui fussent toujours heureux.

L’un de ses foibles étoit l’envie de se mêler des affaires de ses amis, d’être leur confidente, leur