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demi-familier dont ils y étoient reçus, je croyois voir une adresse extrême. Toujours libre avec eux, toujours sur la limite des bienséances, elle ne la passoit jamais. Pour être bien avec le Ciel, sans être mal avec son monde, elle s’étoit fait une espèce de dévotion clandestine : elle alloit à la messe comme on va en bonne fortune ; elle avoit un appartement dans un couvent de religieuses et une tribune à l’église des Capucins, mais avec autant de mystère que les femmes galantes de ce temps-là avoient des petites maisons. Toute sorte de faste lui répugnoit. Son plus grand soin étoit de ne faire aucun bruit. Elle désiroit vivement ďavoir de la célébrité et de s’acquérir une grande considération dans le monde, mais elle la vouloit tranquille. Un peu semblable à cet Anglois vaporeux qui croyoit être de verre, elle évitoit comme autant d’écueils tout ce qui l’auroit exposée au choc des passions humaines ; et de là sa mollesse et sa timidité, sitôt qu’un bon office demandoit du courage. Tel homme pour qui de bon cœur elle auroit délié sa bourse, n’étoit pas sûr de même que sa langue se déliât ; et, sur ce point, elle se donnoit des excuses ingénieuses. Par exemple, elle avoit pour maxime que, lorsque dans le monde on entendoit dire du mal de ses amis, il ne falloit jamais prendre vivement leur défense et tenir tête au médisant, car c’étoit le moyen d’irriter la vi-