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dinage ne pouvoit jamais être égal entre nous, je m’y refusois doucement. Il avoit dans l’esprit certain tour de plaisanterie qui n’étoit pas toujours assez fin ni d’assez bon goût, et dont il aimoit à s’égayer ; mais il ne falloit pas s’y jouer avec lui. Jamais railleur n’a moins souffert la raillerie. Un trait plaisant qui l’auroit effleuré légèrement l’auroit blessé. Je vis donc qu’avec lui il falloit m’en tenir à une gaieté modérée, et je n’allai point au delà. De son côté, lui, qui dans ma réserve apercevoit quelque délicatesse, voulut bien me tenir toujours un langage analogue au mien. Seulement quelquefois, sur ce qui le touchoit, il sembloit vouloir essayer mon sentiment et ma pensée. Par exemple, lorsqu’il obtint, dans l’ordre du Saint-Esprit, la charge qui le décoroit, et que j’allai lui en faire compliment : « Monsieur Marmontel, me dit-il, le roi me décrasse. » Je répondis, comme je le pensois, que « sa noblesse, à lui, étoit dans l’âme, et valoit bien celle du sang ». Une autre fois, revenant du spectacle, il me raconta qu’il y avoit passé ụn mauvais moment ; qu’étant assis au balcon du théâtre, et ne songeant qu’à rire de la petite pièce que l’on représentoit, il avoit tout à coup entendu l’un des personnages, un soldat ivre, qui disoit : « Quoi ! j’aurois une jolie sœur, et cela ne me vaudra rien, lorsque tant d’autres font fortune par leurs arrière-petites-cousines ! » « Figurez-vous,