Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/7

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ture, une franchise, une probité rare, il pouvoit être intéressant autant qu’il étoit aimable. Mais en lui l’humeur gâtoit tout ; et cette humeur étoit quelquefois hérissée de rudesse et de brusquerie.

Vous sentez, mes enfans, combien j’avois à m’observer pour être toujours bien avec un homme de ce caractère ; mais il m’étoit connu, et cette connoissance étoit la règle de ma conduite. D’ailleurs, soit à dessein, soit sans intention, il m’avertit, par son exemple, de la manière dont il vouloit que je fusse avec lui. Étions-nous seuls, il avoit avec moi l’air amical, libre, enjoué, l’air enfin de la société où nous avions vécu ensemble. Avions-nous des témoins, et singulièrement pour témoins des artistes, il me parloit avec estime et d’un air d’affabilité ; mais, dans sa politesse, le sérieux de l’homme en place et du supérieur se faisoit ressentir. Ce rôle me dicta le mien. Je distinguai en moi le secrétaire des bâtimens de l’homme de lettres et de l’homme du monde ; et, en public, je donnai aux deux académies dont il étoit le chef, et à tous les artistes employés sous ses ordres, l’exemple du respect que nous devions tous à sa place. Personne, à ses audiences, n’avoit le maintien, le langage plus décemment composé que moi. Tête à tête avec lui ou dans la société de nos amis communs ; je reprenois l’air simple qui m’étoit naturel, jamais pourtant ni l’air ni le ton familier. Comme le ba-