Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses mains, s’il laissoit voir sa pénurie. J’en eus la fièvre toute la nuit ; et ce fut dans cet état de crise et d’agitation que me vint la première idée de faire un conte. Après avoir passé la nuit sans fermer l’œil à rouler dans ma tête le sujet de celui que j’ai intitulé Alcibiade, je me levai, je l’écrivis tout d’une haleine, au courant de la plume, et je l’envoyai. Ce conte eut un succès inespéré. J’avois exigé l’anonyme. On ne savoit à qui l’attribuer ; et, au dîner d’Helvétius, où étoient les plus fins connoisseurs, on me fit l’honneur de le croire de Voltaire ou de Montesquieu.

Boissy, comblé de joie de l’accroissement que cette nouveauté avoit donné au débit du Mercure, redoubla de prières pour obtenir de moi encore quelques morceaux du même genre. Je fis pour lui le conte de Soliman II, ensuite celui du Scrupule, et quelques autres encore. Telle fut l’origine de ces Contes moraux qui ont eu depuis tant de vogue en Europe. Boissy me fit par là plus de bien à moi-même que je ne lui en avois fait ; mais il ne jouit pas longtemps de sa fortune ; et, à sa mort, lorsqu’il fallut le remplacer : « Sire, dit Mme de Pompadour au roi, ne donnerez-vous pas le Mercure à celui qui l’a soutenu ? » Le brevet m’en fut accordé[1]. Alors il fallut me résoudre à

  1. Le texte du brevet délivré à Marmontel, le 27 avril