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un bénéfice simple de deux mille écus d’appointemens, possédé par le vieux Moncrif, il me vint dans la tête d’en demander la survivance, persuadé que M. Rouillé, dans sa nouvelle place, ne refuseroit pas à Mme de Pompadour la première chose qu’elle lui auroit demandée. Je la fis donc prier par le docteur Quesnay de m’accorder une audience. Je fus remis au lendemain au soir, et toute la nuit je rêvai à ce que j’avois à lui dire. Ma tête s’alluma, et, perdant mon objet de vue, me voilà occupé des malheurs de l’État, et résolu à profiter de l’audience qu’on me donnoit pour faire entendre des vérités utiles. Les heures de mon sommeil furent employées à méditer ma harangue, et ma matinée à l’écrire, afin de l’avoir plus présente à l’esprit. Le soir, je me rendis chez Quesnay, à l’heure marquée, et je fis dire que j’étois là. Quesnay, occupé à tracer le zigzag du produit net, ne me demanda pas même ce que j’allois faire chez Mme de Pompadour. Elle me fait appeler ; je descends, et, introduit dans son cabinet : « Madame, lui dis-je, M. Rouillé vient d’obtenir la surintendance des postes ; la place de secrétaire de la poste aux lettres dépend de lui. Moncrif, qui l’occupe, est bien vieux ! Seroit-ce abuser de vos bontés que de vous supplier d’en obtenir pour moi la survivance ? Rien ne me convient mieux que cette place, et pour la vie j’y borne mon ambition. » Elle me répondit