Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raison. Hors de chez lui, c’étoit l’homme du monde qui se plaisoit le plus à vivre en société avec moi. À dîner, à souper, chez nos amis communs, il jouissoit plus que moi-même de l’estime et de l’amitié que l’on me témoignoit ; il en étoit flatté, il en étoit reconnoissant. Ce fut par lui que je fus mené chez Mme Geoffrin ; et, pour l’amour de lui, je fus admis chez elle au dîner des artistes comme à celui des gens de lettres ; enfin, dès que je cessai d’être secrétaire des bâtimens, comme on le verra dans la suite, personne ne me témoigna plus d’empressement à m’avoir et pour convive et pour ami. Eh bien ! tant que j’occupai sous ses ordres cette place de secrétaire, il ne se permit pas une seule fois de m’inviter à dîner chez lui. Les ministres ne mangeoient point avec leurs commis ; il avoit pris leur étiquette ; et, s’il eût fait une exception en ma faveur, tous ses bureaux en auroient été jaloux et mécontens. Il ne s’en expliqua jamais avec moi ; mais on vient de voir qu’il avoit la bonté de me le faire assez entendre.

Les années que je passois à Versailles étoient celles où l’esprit philosophique avoit le plus d’activité. D’Alembert et Diderot en avoient arboré l’enseigne dans l’immense atelier de l’Encyclopédie, et tout ce qu’il y avoit de plus distingué parmi les gens de lettres s’y étoit rallié autour d’eux. Voltaire, de retour de Berlin, d’où il avoit fait chasser