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tragique, et le hasard m’en offroit l’occasion. Le problème étoit plus difficile à résoudre, mais par d’autres raisons que celles qu’on imaginoit.

La langue noble est moins favorable à la musique : 1° en ce qu’elle n’a pas des tours aussi vifs, aussi accentués, aussi dociles à l’expression du chant que la langue comique ; 2° en ce qu’elle a moins d’étendue, d’abondance et de liberté dans le choix de l’expression. Mais une bien plus grande difficulté naissoit pour moi de l’idée que j’avois conçue du poème lyrique et de la forme théâtrale que j’aurois voulu lui donner. J’en avois fait avec Grétry la périlleuse tentative dans l’opéra de Céphale et Procris. En divisant l’action en trois tableaux, l’un voluptueux et brillant : le palais de l’Aurore, son réveil, ses amours, les plaisirs de sa cour céleste ; l’autre sombre et terrible le complot de la Jalousie et ses poisons versés dans l’âme de Procris ; le troisième touchant, passionné, tragique : l’erreur de Céphale et la mort de son épouse percée de ses traits et expirante entre ses bras, je croyois avoir rempli l’idée d’un spectacle intéressant ; mais, n’ayant pas réussi dans ce coup d’essai, et m’attribuant en partie notre disgrâce, ma défiance de moi-même alloit jusqu’à la frayeur.

Le sentiment de ma propre foiblesse, et la bonne opinion que j’avois du célèbre compositeur qu’on