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rangé du côté où étoit la faveur ; mais la musique protégée ne ressembloit non plus, dans ses formes tudesques, à ce que j’avois entendu de Pergolèse, de Léo, de Buranello, etc., que le style de Crébillon ne ressemble à celui de Racine ; et, préférer le Crébillon au Racine de la musique, c’eût été un effort de dissimulation que je n’aurois pu soutenir.

D’ailleurs, je m’étois mis dans la tête de transporter sur nos deux théâtres la musique italienne ; et l’on a vu que, dans le comique, j’avois assez bien commencé. Ce n’est pas que la musique de Grétry fût de la musique italienne par excellence ; elle étoit encore loin d’atteindre à cet ensemble qui nous ravit dans celle des grands compositeurs ; mais il avoit un chant facile, du naturel dans l’expression, des airs et des duos agréablement dessinés, quelquefois même dans l’orchestre un heureux emploi d’instrumens ; enfin, du goût et de l’esprit assez pour suppléer à ce qui lui manquoit du côté de l’art et du génie ; et, si sa musique n’avoit pas tout le charme et toute la richesse de celle de Piccini, de Sacchini, de Paësiello, elle en avoit le rythme, l’accent, la prosodie : j’avois donc démontré qu’au moins dans le comique la langue françoise pouvoit avoir une musique du même style que la musique italienne.

Il me restoit à faire la même épreuve dans le