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et comique dans la tragédie. « Eh ! non, Mademoiselle, lui disois-je, vous ne l’aurez jamais, la nature vous l’a défendu ; vous ne l’avez pas même au moment où vous me parlez ; le son de votre voix, l’air de votre visage, votre prononciation, votre geste, vos attitudes, sont naturellement nobles. Osez seulement vous fier à ce beau naturel ; j’ose vous garantir que vous en serez plus tragique. »

D’autres conseils que les miens prévalurent ; et, las de me rendre inutilement importun, j’avois cédé, lorsque je vis l’actrice revenir tout à coup d’elle-même à mon sentiment. Elle venoit jouer Roxane au petit théâtre de Versailles. J’allai la voir à sa toilette, et, pour la première fois, je la trouvai habillée en sultane, sans panier, les bras demi-nus, et dans la vérité du costume oriental ; je lui en fis mon compliment. « Vous allez, me dit-elle, être content de moi. Je viens de faire un voyage à Bordeaux ; je n’y ai trouvé qu’une très petite salle ; il a fallu m’en accommoder. Il m’est venu dans la pensée d’y réduire mon jeu, et d’y faire l’essai de cette déclamation simple que vous m’avez tant demandée. Elle y a eu le plus grand succès. Je vais en essayer encore ici sur ce petit théâtre. Allez m’entendre. Si elle y réussit de même, adieu l’ancienne déclamation. »

L’événement passa son attente et la mienne. Ce