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de la cour. Lorsque Azor, à genoux aux pieds de Zémire, lui chanta :


Du moment qu’on aime,
L’on devient si doux,
Et je suis moi-même
Plus tremblant que vous,


j’entendis ces dames qui disoient entre elles : Il n’est déjà plus laid, et, l’instant d’après : Il est beau.

Je ne dois pas dissimuler que le charme de la musique contribuoit merveilleusement à produire de tels effets. Celle de Grétry étoit alors ce qu’elle n’a été que bien rarement après moi, et il ne sentoit pas assez avec quel soin je m’occupois à lui tracer le caractère, la forme et le dessin d’un chant agréable et facile. En général, la fatuité des musiciens est de croire ne rien devoir à leur poète ; et Grétry, avec de l’esprit, a eu cette sottise au suprême degré.

Quant à l’Ami de la maison, ma complaisance pour Mme La Ruette, mon actrice, fut la cause du peu de succès que cet ouvrage eut à la cour. J’aurois voulu d’abord donner le rôle de l’Ami de la maison à Caillot ; je l’avois fait pour lui ; il l’auroit joué supérieurement bien, j’en étois sûr ; mais il le refusa pour une raison singulière. « Cette situation, me dit-il, ressemble trop à celle où nous nous trouvons quelquefois ; et ce caractère