Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais, à force d’obstination, je me fis obéir ; et, quant au masque, je le formai moi-même de pièces rapportées de plusieurs masques découpés.

Le lendemain matin, je fis essayer à Clairval ce vêtement ; et, en se regardant au miroir, il le trouva imposant et noble. « À présent, mon ami, lui dis-je, votre succès dépend de la manière dont vous entrerez sur le théâtre. Si l’on vous voit confus, timide, embarrassé, nous sommes perdus ; mais, si vous vous montrez fièrement, avec assurance, en vous dessinant bien, vous en imposerez ; et, ce moment passé, je vous réponds du reste. »

La même négligence avec laquelle j’avois été servi par ce tailleur impertinent, je l’avois retrouvée dans le décorateur ; et le tableau magique, le moment le plus intéressant de la pièce, il le faisoit manquer, si je n’avois pas suppléé à sa maladresse. Avec deux aunes de moire d’argent pour imiter la glace du trumeau, et deux aunes de gaze claire et transparente, je lui appris à produire l’une des plus agréables illusions du théâtre.

Ce fut ainsi que, par mes soins, au lieu de la chute honteuse dont j’étois menacé, j’obtins le plus brillant succès. Clairval joua son rôle comme je le voulois. Son entrée fière et hardie ne fit que l’impression d’étonnement qu’elle devoit faire, et dès lors je fus rassuré. J’étois dans un coin de l’orchestre, et j’avois derrière moi un banc de dames