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à ses garçons, montrez l’habit de la bête à Monsieur. » Que vis-je ? un pantalon tout semblable à la peau d’un singe, avec une longue queue rase, un dos pelé, d’énormes griffes aux quatre pattes, deux longues cornes au capuchon, et le masque le plus difforme avec des dents de sanglier. Je fis un cri d’horreur, en protestant que ma pièce ne seroit point jouée avec ce ridicule et monstrueux travestissement. « Qu’auriez-vous donc voulu ? me demanda fièrement le tailleur. — J’aurois voulu, lui répondis-je, que vous eussiez lu mon programme ; vous auriez vu que je vous demandois un habit d’homme, et non pas de singe. — Un habit d’homme pour une bête ? — Et qui vous a dit qu’Azor soit une bête ? — Le conte me le dit. — Le conte n’est point mon ouvrage ; et mon ouvrage ne sera point mis au théâtre que tout cela ne soit changé. — Il n’est plus temps. — Je vais donc supplier le roi de trouver bon que ce hideux spectacle ne lui soit point donné ; je lui en dirai la raison. » Alors mon homme se radoucit et me demanda ce qu’il falloit faire. « La chose du monde la plus simple, lui répondis-je, un pantalon tigré, la chaussure et les gants de même, un doliman de satin pourpre, une crinière noire ondée et pittoresquement éparse, un masque effrayant, mais point difforme, ni ressemblant à un museau. » On eut bien de la peine à trouver tout cela, car le magasin étoit vide ;