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personnage y marcheroit à quatre pattes. Je laissois dire, et j’étois tranquille. J’avois donné, pour les décorations et pour les habits, des programmes très détaillés, et je ne doutois pas que mes intentions n’eussent été remplies. Mais le tailleur ni le décorateur ne s’étoient donné la peine de lire mes programmes, et, d’après le conte de la Belle et la Bête, ils avoient fait leurs dispositions. Mes amis étoient inquiets sur le succès de mon ouvrage. Grétry avoit l’air abattu ; Clairval lui-même, qui avoit joué de si bon cœur tous mes autres rôles, témoignoit de la répugnance à jouer celui-ci. Je lui en demandai la raison. « Comment voulez-vous, me dit-il, que je rende intéressant un rôle où je serai hideux ? — Hideux lui dis-je, vous ne le serez point. Vous serez effrayant au premier coup d’œil, mais, dans votre laideur, vous aurez de la noblesse, et même de la grâce. — Voyez donc, me dit-il, l’habit de bête qu’on me prépare, car on m’en a dit des horreurs. » Nous étions à la veille de la représentation ; il n’y avoit pas un moment à perdre. Je demandai qu’on me montrât l’habit d’Azor. J’eus bien de la peine à obtenir du tailleur cette complaisance. Il me disoit d’être tranquille, et de m’en rapporter à lui ; mais j’insistai, et le duc de Duras, en lui ordonnant de me mener au magasin, eut la bonté de m’y accompagner. « Montrez, dit dédaigneusement le tailleur