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et se livrant, avec toute la liberté de son esprit et de son âme, à l’enjouement de la société, rien ne ressembloit plus à la situation d’un amant traité avec rigueur et dominé avec empire. Cependant ils passoient leur vie ensemble dans l’union la plus intime, et, bien évidemment, il étoit l’homme auquel nul autre n’étoit préféré. Si ce personnage d’amant malheureux n’eût duré que peu de temps ; on l’auroit cru joué ; mais plus de quinze ans de suite il a été le même ; il l’a été depuis la mort de M. de Marchais comme de son vivant, et jusqu’au moment où sa veuve a épousé M. d’Angiviller. Alors la scène a changé de face ; toute l’autorité a passé à l’époux ; et ce n’a plus été, du côté de l’épouse, que déférence et complaisance, avec l’air soumis du respect. Je n’ai rien observé en ma vie de si singulier dans les mœurs que cette mutation volontaire et subite, qui fut depuis pour l’un et l’autre un sort également heureux.

Leurs sentimens pour moi furent toujours parfaitement d’accord ; ils sont encore les mêmes. Les miens pour eux ne varieront jamais.

Parmi mes délassemens, je n’ai pas compté le spectacle, dont j’avois cependant toute facilité de jouir au théâtre de la cour ; mais j’y allois rarement, et je n’en parle ici que pour marquer l’époque d’une révolution intéressante dans l’art de la déclamation.