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du succès ; mais on s’aperçut avec inquiétude de l’abattement où j’étois. Le soir, la fièvre me saisit. Mon domestique se sentit frappé en même temps que moi, et l’un et l’autre nous fûmes quarante jours entre la vie et la mort. Ce fut la première maladie dont Bouvart me guérit. Il prit de moi les soins d’un ami tendre, et Mlle Clairon, dans ma convalescence, eut pour moi les plus touchantes attentions : elle étoit ma lectrice, et les rêveries des Mille et une Nuits étoient la seule lecture que mon foible cerveau pût soutenir.

Peu de temps après, l’Académie perdit Duclos[1] ; et, à sa mort, la place d’historiographe de France me fut donnée sans aucune sollicitation de ma part. Voici d’où me vint cette grâce.

Tandis que je logeois encore chez Mme Geoffrin, un homme de la société de Mlle Clairon, et dont je connoissois la loyauté et la franchise, Garville, vint me voir et me dit : « Dans des voyages que j’ai faits en Bretagne, lorsque le duc d’Aiguillon y étoit commandant, je l’ai vu et j’ai eu lieu de le connoître. Je suis instruit et convaincu que le procès qui lui est intenté n’est qu’une affaire de parti et d’intrigue ; mais, quelque bonne que soit sa cause, le crédit des États et du parlement de Bretagne fait qu’à Paris même il ne peut trou-

  1. Mort le 26 mars 1772.