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Il étoit naturel que l’aventure de Bélisaire eût un peu refroidi Mme Geoffrin sur mon compte, et que, plus ostensiblement tournée à la dévotion, elle eût quelque peine à loger chez elle un auteur censuré. Dès que je pus m’en apercevoir, je prétextai l’envie d’être logé plus commodément. « Je suis bien fâchée, me dit-elle, de n’avoir rien de mieux à vous offrir ; mais j’espère qu’en ne logeant plus chez moi, vous n’en serez pas moins du nombre de mes amis, et des dîners qui les rassemblent. » Après cette audience de congé, je fis mes diligences pour sortir de chez elle ; et un logement fait à souhait pour moi me fut offert, par la comtesse de Séran, dans un hôtel que le roi lui avoit donné. Ceci me fait reprendre le fil de son roman.

À son retour d’Aix-la-Chapelle, le roi l’avoit reçue mieux que jamais, sans oser davantage. Cependant le mystère de leurs rendez-vous et de leurs tête-à-tête n’avoit pas échappé aux yeux vigilans de la cour ; et le duc de Choiseul, résolu d’éloigner du roi toute femme qui ne lui seroit pas affidée, s’étoit permis contre celle-ci quelques propos légers et moqueurs. Dès qu’elle en fut instruite, elle voulut lui imposer silence. Elle avoit pour ami La Borde, banquier de la cour, dévoué au duc de Choiseul, auquel il devoit sa fortune. Ce fut chez lui et devant lui qu’elle eut une entrevue