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nôtre, et que cet ouvrage pourroit bien n’avoir aucun succès. » Alors, revenant vers la cheminée où étoit notre monde : « Madame, et vous, Messieurs, leur dis-je, nous sommes tous des bêtes ; Caillot seul a raison », et je jetai mon manuscrit au feu. Ils s’écrièrent que Caillot me faisoit faire une folie. Grétry en pleura de douleur ; et, en s’en allant avec moi, il me parut si désolé qu’en le quittant j’avois la tristesse dans l’âme.

L’impatience de le tirer de l’état où je l’avois vu m’ayant empêché de dormir, le plan et les premières scènes de Sylvain furent le fruit de cette insomnie. Le matin je les écrivois, quand je vis arriver Grétry. « Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, me dit-il. Ni moi non plus, lui dis-je. Asseyez-vous et m’écoutez. » Je lui lus mon plan et deux scènes. « Pour le coup, ajoutai-je, me voilà sûr de ma besogne, et je vous réponds du succès. » Il se saisit des deux premiers airs, et il s’en alla consolé.

Ainsi s’employoient mes loisirs, et le produit d’un travail léger augmentoit tous les ans ma petite fortune ; mais elle n’étoit pas assez considérable pour que Mme Gaulard eût pu y voir un établissement convenable à sa nièce ; elle lui donna donc un autre mari, comme je l’ai dit ; et bientôt cette société, que j’avois cultivée avec tant de soin, fut rompue. Un autre incident me jeta dans des sociétés nouvelles.