Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mourrois de chagrin, comme Mme de Pompadour. — Allons, mon enfant, soyons pauvres, lui disoit Mme Filleul ; je serois à ta place aussi bête que toi. » Et le soir nous mangions gaiement le gigot dur, en nous moquant des grandeurs humaines. Ainsi, sans s’émouvoir de la vue et des approches de la mort, elle sourit à son amie en lui disant adieu, et son trépas ne fut qu’une dernière défaillance.

À mon retour d’Aix-la-Chapelle, j’avois trouvé la censure de la Sorbonne affichée à la porte de l’Académie et à celle de Mme Geoffrin. Mais les suisses du Louvre sembloient s’être entendus pour essuyer leurs balais à cette pancarte. La censure et le mandement de l’archevêque étoient lus en chaire dans les paroisses de Paris, et ils étoient conspués dans le monde. Ni la cour ni le Parlement ne s’étoient mêlés de cette affaire : on me fit dire seulement de garder le silence ; et Bélisaire continua de s’imprimer et de se vendre avec privilège du roi. Mais un événement, plus affligeant pour moi que les décrets de la Sorbonne, m’attendoit à Maisons, et ce fut là qu’en arrivant j’eus besoin de tout mon courage.

J’ai parlé d’une jeune nièce de Mme Gaulard, et de la douce habitude que j’avois prise de passer avec elles deux les belles saisons de l’année, quelquefois même les hivers. Cette habitude entre