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à petites journées. À Liège, où nous avions couché, je vis entrer chez moi, le matin, un bourgeois d’assez bonne mine, et qui me dit : « Monsieur, j’ai appris hier au soir que vous étiez ici ; je vous ai de grandes obligations, je viens vous en remercier. Mon nom est Bassompierre[1] ; je suis imprimeur-libraire dans cette ville ; j’imprime vos ouvrages, dont j’ai un grand débit dans toute l’Allemagne. J’ai déjà fait quatre éditions copieuses de vos Contes moraux ; je suis à la troisième édition de Bélisaire. — Quoi ! Monsieur, lui dis-je en l’interrompant, vous me volez le fruit de mon travail, et vous venez vous en vanter à moi ! — Bon ! reprit-il, vos privilèges ne s’étendent point jusqu’ici : Liège est un pays de franchise. Nous avons droit d’imprimer tout ce qu’il y a de bon ; c’est là notre commerce. Qu’on ne vous vole point en France, où vous êtes privilégié, vous serez encore assez riche. Faites-moi donc la grâce de venir déjeuner chez moi ; vous verrez une des belles imprimeries de l’Europe, et vous serez content de la manière dont vos ouvrages y sont exé-

  1. Le fils de Bassompierre avait épousé, selon la France protestante, la fille du célèbre pastelliste genevois, Jean-Etienne Liotard. Ce passage de Marmontel a été cité dans le Bulletin du bibliophile belge (II, 393) sans indications de références biographiques sur cet audacieux ou naïf contrefacteur.