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posée à l’aimer, le Ciel m’en est témoin ; j’aurois fait mon bonheur, ma gloire de le rendre heureux ; mais il ne veut pas l’être ; il a juré de me forcer à le hair. »

Nous passâmes trois jours à Spa, les jeunes femmes à dissiper la tristesse dont elles avoient l’âme atteinte, et moi à réfléchir sur les suites fâcheuses que ce voyage pouvoit avoir. Je ne prévoyois pas encore le chagrin plus cruel qu’il alloit nous causer.

À mesure que le sang se dépuroit dans les veines de notre malade, il se formoit successivement, sur sa peau et par tout son corps, une gale qui, d’elle-même, séchoit et tomboit en poussière. C’étoit là son salut ; et, du moment que cette écume du sang avoit commencé à se répandre au dehors, le médecin l’avoit regardée comme rappelée à la vie. Mais elle, à qui cette gale inspiroit du dégoût, et qui en trouvoit la guérison trop lente, voulut l’accélérer ; et, prenant pour cela le temps de notre absence, elle s’étoit enduit tout le corps de cérat. Aussitôt la transpiration de cette humeur avoit cessé, la gale étoit rentrée, et nous trouvâmes la malade dans un état plus désespéré que jamais. Elle voulut retourner à Paris ; nous la ramenâmes à peine, et elle ne fit plus que languir.

Pour la laisser reposer en chemin, nous venions