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pâle et tout en larmes. Dans cet état, elle eût attendri le cœur d’un tigre ; mais lui, de peur de s’adoucir, il avoit défendu de la laisser entrer, et avoit ordonné que des chevaux de poste fussent mis à sa chaise au petit point du jour.

C’étoit de tous les maîtres le plus ponctuellement obéi. Son valet de chambre représenta que, s’il laissoit entrer madame, il seroit chassé sur-le-champ, et que monsieur, dans sa colère, seroit capable de se porter aux plus extrêmes violences. Nous espérâmes que le sommeil le calmeroit un peu, et je demandai seulement que l’on vint m’avertir dès le moment de son réveil.

Je n’avois point dormi, je n’étois pas même déshabillé, lorsqu’on vint me dire qu’il se levoit. J’entrai chez lui, et, dans les termes les plus touchans, je lui représentai l’état où il laissoit sa femme. « C’est un jeu, me dit-il, vous ne connoissez point les femmes ; je les connois, pour mon malheur. » La présence de ses valets me força au silence ; et, lorsqu’il fut près de partir : « Adieu, mon ami, me dit-il en me serrant la main, plaignez le plus malheureux des hommes. Adieu. » Et, de l’air dont il seroit monté à l’échafaud, il monta en voiture et partit.

Alors, la douleur de Mme de Marigny se changeant en indignation : « Il me rebute, nous dit-elle ; il veut me révolter, il y réussira. J’étois dis-