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importune ; qu’après tout ce qu’il avoit fait pour être aimé, il ne l’étoit point ; qu’il étoit haï, qu’il étoit détesté ; que la demande que lui avoit faite Mme Filleul étoit préméditée ; que l’on n’avoit voulu que se débarrasser de lui ; qu’on ne l’avoit accompagné à Spa que pour s’y amuser ; qu’il n’étoit point dupe de ces belles manières, et qu’il savoit très bien qu’il tardoit à sa femme qu’il fût parti. Elle prit la parole en lui disant qu’il étoit injuste ; que, s’il eût témoigné la plus légère peine de la laisser près de sa mère, ni l’une ni l’autre n’auroient voulu abuser de sa complaisance ; qu’au surplus, quoique l’on eût laissé ses malles à Aix-la-Chapelle, elle étoit résolue à partir avec lui. « Non, Madame, dit-il, restez ; il n’est plus temps, je ne veux point de sacrifices. — Assurément, répliqua-t-elle, c’en est un que de quitter ma mère dans l’état où elle est, mais il n’en est aucun que je ne sois prête à vous faire. — Je n’en veux point », répéta-t-il en se levant de table. Mme de Séran voulut tâcher de l’adoucir. « Pour vous, Madame, lui dit-il, je ne vous parle point. J’aurois trop à vous dire ; seulement, je vous prie de ne pas vous mêler de ce qui se passe entre madame et moi. » Il sortit brusquement, et nous laissa tous trois consternés.

Après avoir tenu conseil un moment, nous fûmes d’avis que sa femme allât le trouver. Elle étoit