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nieux de sentimens et de pensées que résulte le charme de la conversation. Un assentiment unanime commence par être agréable et finit par être ennuyeux. Aussi Mme Filleul disoit-elle qu’elle aimoit la contrariété ; qu’il n’y avoit que cela de naturel et de sincère ; que la nature n’avoit rien fait de pareil, ni deux œufs, ni deux feuilles d’arbre, ni deux esprits et deux caractères, et que, partout où l’on croyoit voir une ressemblance constante de sentimens et d’opinions, il y avoit dissimulation et complaisance de part ou d’autre, souvent même des deux côtés.

L’une des trois, Mme de Séran, m’avoit mis dans sa confidence, et cette confidence étoit de nature à donner lieu à d’intéressans tête-à-tête. Il s’agissoit pour elle de succéder, si elle l’avoit voulu, à Mme de Pompadour. Elle étoit en relation continuelle avec le roi ; il lui écrivoit par tous les courriers ; et ces lettres et les réponses me passoient toutes sous les yeux. Voici comment s’étoit noué le fil de ce petit roman.

Mme de Séran étoit fille d’un M. de Bullioud, bon gentilhomme sans fortune, ci-devant gouverneur des pages du duc d’Orléans. Par une fatalité des plus étranges, et que je ne puis expliquer, cette jeune personne, dès l’âge de quinze ans, avoit été l’objet de l’humeur violente et sombre de son père et de l’aversion de sa mère. Belle comme l’Amour,