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armes qui lui sont propres, et qui ne sont ni le fer ni le feu. » Telle fut à peu près notre première conversation.

Une autre fois, comme il revenoit sans cesse à dire que les philosophes se donnoient trop de libertés « Il est vrai, Monseigneur, lui dis-je, que parfois ils s’avisent d’être vos suppléans dans des fonctions assez belles ; mais ce n’est qu’autant que vous-mêmes vous ne daignez pas les remplir. — Quelles fonctions ? demanda-t-il. — Celles de prêcher sur les toits des vérités qu’on dit trop rarement aux souverains, à leurs ministres, aux flatteurs qui les environnent. Depuis l’exil de Fénelon, ou, si vous voulez, depuis ce petit cours de morale touchante que Massillon fit faire à Louis XV enfant, leçons prématurées, et par là inutiles, les vices, les crimes publics, ont-ils trouvé dans le sacerdoce un seul agresseur courageux ? En chaire, on ose bien tancer de petites foiblesses et des fragilités communes ; mais les passions désastreuses, les fléaux politiques, en un mot les sources morales des malheurs de l’humanité, qui ose les attaquer ? qui ose demander compte à l’orgueil, à l’ambition, à la vaine gloire, au faux zèle, à la fureur de dominer et d’envahir, qui ose leur demander compte devant Dieu et devant les hommes des larmes et du sang de leurs innombrables victimes ? » Alors je supposai un Chrysos-