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— Vous avez beau dire, reprit l’évêque, sa doctrine est constante, l’édifice en est cimenté, et nous ne souffrirons jamais qu’une seule pierre en soit détachée. » Je lui fis observer que l’art des mines étoit porté fort loin ; qu’avec un peu de poudre on renversoit de fond en comble des tours bien hautes, bien solides, et que l’on brisoit même les rochers les plus durs. « Me préserve le Ciel, ajoutai-je, de souhaiter que ce présage s’accomplisse ! j’aime sincèrement, je révère du fond du cœur cette religion consolante ; mais, si jamais elle meurt parmi nous, le fanatisme théologique en sera seul la cause ; ce sera lui qui, de sa main, lui aura porté le coup mortel. »

Alors s’éloignant un peu de moi, et parlant à voix basse à l’évêque de Noyon, je crus entendre qu’il lui disoit : Cela durera plus que nous. Il se trompoit. Ensuite, revenant vers moi : « Si vous aimez la religion, insista-t-il, pourquoi vous joignez-vous à ceux qui méditent de la détruire ? — Je ne me joins, lui répondis-je, qu’à ceux qui l’aiment comme moi, et qui désirent qu’elle se montre telle qu’elle est venue du ciel, pure, sans mélange et sans tache, sicut aurora consurgens, pulchra ut luna, electa ut sol. (Il ajouta, en souriant, terribilis ut castrorum acies ordinata.) Oui, répliquai-je, terrible aux méchans, aux fanatiques, aux impies ; mais terrible dans l’avenir avec les