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Ce n’étoit pas tout. Il me falloit un privilège, et il me falloit l’assurance qu’il ne seroit point révoqué. Je n’avois aucun crédit personnel auprès du vieux Maupeou, alors garde des sceaux ; mais la femme de mon libraire, Mme Merlin, en étoit connue et protégée. Je le fis pressentir par elle, et il nous promit toute faveur.

Il me restoit à prendre mes sûretés du côté de la cour ; et, ici, l’endroit périlleux de mon livre n’étoit pas la théologie. Je redoutois les allusions, les applications malignes, et l’accusation d’avoir pensé à un autre que Justinien dans la peinture d’un roi foible et trompé. Il n’y avoit, malheureusement, que trop d’analogie d’un règne à l’autre ; le roi de Prusse le sentit si bien que, lorsqu’il eut reçu mon livre, il m’écrivit, de sa main, au bas d’une lettre de son secrétaire Lecat : « Je viens de lire le début de votre Bélisaire ; vous êtes bien hardi ! » D’autres pouvoient le dire ; et, si les ennemis que j’avois encore m’attaquoient de ce côté-là, j’étois perdu.

Cependant il n’y avoit pas moyen de prendre à cet égard des précautions directes. La moindre inquiétude que j’aurois témoignée auroit donné l’éveil, et m’auroit dénoncé. Personne n’auroit pris sur soi ni de me rassurer, ni de me promettre assistance ; et le premier conseil que l’on m’auroit donné auroit été de jeter au feu mon ouvrage, ou