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tendant, et le prince lui ayant répondu qu’en effet bien des personnes avoient déjà fait cette remarque, je dis à demi-voix :

« Avec quelques traits de plus de cette ressemblance, le prince Édouard auroit été roi d’Angleterre. » Ce mot fut entendu ; le prince y fut sensible, et je l’en vis rougir de modestie et de pudeur.

Autant la lecture de Bélisaire avoit réussi à l’Académie, autant j’étois certain qu’il réussiroit mal en Sorbonne. Mais ce n’étoit point là ce qui m’inquiétoit ; et, pourvu que la cour et le Parlement ne se mêlassent point de la querelle, je voulois bien me voir aux prises avec la Faculté de théologie. Je pris donc mes précautions pour n’avoir qu’elle à redouter.

L’abbé Terray n’étoit pas encore dans le ministère ; mais au Parlement, dont il étoit membre, il avoit le plus grand crédit. J’allai avec Mme Gaulard, son amie, passer quelque temps à sa terre de la Motte, et là je lui lus Bélisaire. Quoique naturellement peu sensible, il le fut à cette lecture. Après l’avoir intéressé, je lui confiai que j’appréhendois quelque hostilité de la part de la Sorbonne, et je lui demandai s’il croyoit que le Parlement condamnât mon livre, dans le cas qu’il fût censuré. Il m’assura que le Parlement ne se mêleroit point de cette affaire, et me promit d’être mon défenseur, si quelqu’un m’y attaquoit.