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celle plus agréable encore que je menois à la campagne, ne déroboient à mon cher Odde et à ma sœur la délicieuse quinzaine qui, tous les ans, leur étoit réservée, et que j’allois passer avec eux à Saumur. C’étoit là véritablement que toute la sensibilité de mon âme étoit employée à jouir. Entre ces deux époux qui s’aimoient l’un l’autre plus qu’ils n’aimoient la lumière et la vie, je me voyois chéri et révéré moi-même comme la source de leur bonheur. Je ne me rassasiois point de l’inexprimable douceur de considérer mon ouvrage dans ce bonheur de deux âmes pures, dont tous les vœux appeloient sur moi les bénédictions du Ciel. Leur tendresse me pénétroit, leur piété me ravissoit l’âme. Leurs mœurs étoient, pour ainsi dire, le naturel de la vertu dans toute sa simplicité. À cette jouissance continuelle et de tous les momens se joignoit celle de les voir chéris, honorés dans leur ville Mme Odde y étoit citée pour le modèle des femmes ; le nom de M. Odde étoit comme un synonyme de justice et de vérité. La commission de la cour des Aides établie à Saumur et la compagnie des fermiers généraux avoient elles ensemble quelque contestation, Odde étoit leur arbitre et leur conciliateur. J’étois témoin de cette confiance acquise à un autre moi-même. J’étois témoin de l’amour du peuple pour un homme exerçant un emploi de rigueur, sans que