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zélateurs parmi eux. Le baron avoit donc appris à ses dépens à le connoître ; mais le bon David Hume croyoit voir plus de passion que de vérité dans l’avis que le baron lui donnoit. Il ne laissa donc pas d’emmener Rousseau avec lui, et de lui rendre dans sa patrie tous les bons offices de l’amitié. Il croyoit, et il devoit croire avoir rendu heureux le plus sensible et le meilleur des hommes ; il s’en félicitoit dans toutes les lettres qu’il écrivoit au baron d’Holbach, et il ne cessoit de combattre la mauvaise opinion que le baron avoit de Rousseau. Il lui faisoit l’éloge de la bonté, de la candeur, de l’ingénuité de son ami. « Il m’est pénible, lui disoit-il, de penser que vous soyez injuste à son égard. Croyez-moi, Rousseau n’est rien moins qu’un méchant homme. Plus je le vois, plus je l’estime et je l’aime. » Tous les courriers, les lettres de Hume à d’Holbach répétoient les mêmes louanges, et celui-ci, en nous les lisant, disoit toujours : Il ne le connoît pas encore ; patience, il le connoîtra. En effet, peu de temps après, il reçoit une lettre dans laquelle Hume débute ainsi : Vous aviez bien raison, Monsieur le baron ; Rousseau est un monstre. « Ah ! nous dit le baron, froidement et sans s’étonner, il le connoît enfin. »

Comment un changement si brusque et si soudain étoit-il arrivé dans l’opinion de l’un et dans la conduite de l’autre ? Vous le verrez dans l’ex-