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ni l’autre, me dit-il ; mais j’ai le cœur blessé, ulcéré contre vous. Je ne veux plus vous voir. — Qu’ai-je donc fait ? lui demandai-je. — Vous avez fouillé, me dit-il, dans les replis de mon âme, vous en avez arraché mon secret, vous l’avez trahi. Vous m’avez livré au mépris, à la haine d’un homme qui ne me pardonnera jamais. » Je laissai son feu s’exhaler, et, quand il se fut épuisé en reproches : « Nous sommes seuls, lui dis-je, et, entre nous, votre éloquence est inutile. Nos juges sont, ici, la raison, la vérité, votre conscience et la mienne. Voulez-vous les interroger ? » Sans me répondre, il se jeta dans son fauteuil, les deux mains sur les yeux, et je pris la parole.

« Le jour, lui dis-je, où nous convînmes que vous seriez sincère dans votre lettre à Saint-Lambert, vous étiez, disiez-vous, réconcilié avec vous-même ; qui vous fit donc changer de résolution ? Vous ne répondez point ; je vais me répondre pour vous. Quand il vous fallut prendre la plume, et faire l’humble aveu d’une malheureuse folie, aveu qui cependant vous auroit honoré, votre diable d’orgueil se souleva (oui, votre orgueil : vous m’avez accusé de perfidie, et je l’ai souffert ; souffrez, à votre tour, que je vous accuse d’orgueil, car, sans cela, votre conduite ne seroit que de la bassesse). L’or-