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il faut que je divulgue ce qu’il a passé sous silence ; et il a bien prévu que je n’en ferois rien. Il étoit bien sûr que je le laisserois jouir de son outrage plutôt que de mettre le public dans la confidence d’un secret qui n’est pas le mien ; et, en cela, Rousseau est un agresseur malhonnête : il frappe un homme désarmé.

« Vous connoissez la passion malheureuse qu’avoit prise Rousseau pour Mme d’Houdetot[1]. Il eut un jour la témérité de la lui déclarer d’une manière qui devoit la blesser. Peu de temps après Rousseau vint me trouver à Paris. « Je suis un fou, je suis un homme perdu, me dit-il : voici ce qui m’est arrivé. » Et il me conta son aventure. « Eh bien ! lui dis-je, où est le malheur ? — Com-

  1. Ce n’est pas ici le lieu de résumer, même sommairement, le débat qui, depuis tantôt un siècle, divise les admirateurs et les adversaires de Rousseau touchant ses procédés à l’égard de Mme d’Épinay, de Mme d’Houdetot et de Diderot ; les documents mis au jour par MM. Lucien Perey et G. Maugras, dans la Jeunesse et les Dernières années de Mme d’Épinay, ont montré avec quelle légitime méfiance devaient être lues les pages des Confessions qui la concernent. On ne lira pas avec moins de profit une remarquable étude de M. Lucien Brunel sur la Nouvelle Héloïse et Mme d’Houdetot, extraite des Annales de l’Est (Berger-Levrault, 1888, in-8o, 63 p.). Enfin, j’ai publié dans les Appendices de la Correspondance littéraire de Grimm (tome XVI, p. 218 et suiv.) les Tablettes de Diderot, cahier de notes où sont énumérées ce qu’il appelle « les sept scélératesses » de Rousseau contre lui et ses amis.