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dains étoient comme les résultats d’une étude récente ou d’une longue méditation.

Cet homme, l’un des plus éclairés du siècle, étoit encore l’un des plus aimables ; et, sur ce qui touchoit à la bonté morale, lorsqu’il en parloit d’abondance, je ne puis exprimer quel charme avoit en lui l’éloquence du sentiment. Toute son âme étoit dans ses yeux, sur ses lèvres. Jamais physionomie n’a mieux peint la bonté du cœur.

Je ne vous parle point de ceux de nos amis que vous venez de voir sous l’œil de Mme Geoffrin, et soumis à sa discipline. Chez le baron d’Holbach et chez Helvétius ils étoient à leur aise, et d’autant plus aimables car l’esprit, dans ses mouvemens, ne peut bien déployer et sa force et sa grâce que lorsqu’il n’a rien qui le gêne ; et là il ressembloit au coursier de Virgile :


Qualis ubi abruptis fugit præsepia vinclis
Tandem liber equus, campoque potitus aperto…
Emicat, arrectisque fremit cervicibus alte,
Luxurians.


Vous devez comprendre combien il étoit doux pour moi de faire, deux ou trois fois la semaine, d’excellens dîners en aussi bonne compagnie : nous nous en trouvions tous si bien que, lorsque venoient les beaux jours, nous entremêlions ces dîners de promenades philosophiques en pique-nique dans les environs de Paris, sur les bords de la Seine :