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moment, c’étoit alors qu’il étoit ravissant. Dans ses écrits, il ne sut jamais former un tout ensemble : cette première opération, qui ordonne et met tout à sa place, étoit pour lui trop lente et trop pénible. Il écrivoit de verve avant d’avoir rien médité aussi a-t-il écrit de belles pages, comme il disoit lui-même, mais il n’a jamais fait un livre. Or, ce défaut d’ensemble disparoissoit dans le cours libre et varié de la conversation.

L’un des beaux momens de Diderot, c’étoit lorsqu’un auteur le consultoit sur son ouvrage. Si le sujet en valoit la peine, il falloit le voir s’en saisir, le pénétrer, et, d’un coup d’œil, découvrir de quelles richesses et de quelles beautés il étoit susceptible. S’il s’apercevoit que l’auteur remplit mal son objet, au lieu d’écouter la lecture, il faisoit dans sa tête ce que l’auteur avoit manqué. Étoit-ce une pièce de théâtre, il y jetoit des scènes, des incidens nouveaux, des traits de caractère ; et, croyant avoir entendu ce qu’il avoit rêvé, il nous vantoit l’ouvrage qu’on venoit de lui lire, et dans lequel, lorsqu’il voyoit le jour, nous ne retrouvions presque rien de ce qu’il en avoit cité. En général, et dans toutes les branches des connoissances humaines, tout lui étoit si familier et si présent qu’il sembloit toujours préparé à ce qu’on avoit à lui dire, et ses aperçus les plus sou-