Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’en garder le silence dès que j’aurai su ce que c’est. — Ce que c’est ! toujours votre livre et votre fureur de citer. Ne l’ai-je point là, votre livre ? — Oui, Madame, il est là. — Voyons cette chanson du président que vous avez citée à propos des chansons à boire. La voici :


Venge-moi d’une ingrate maîtresse, etc.


De qui la tenez-vous, cette chanson ? — De Jélyotte. — Eh bien ! Jélyotte ne vous l’a pas donnée telle qu’elle est, puisqu’il faut vous le dire. Il y a un Ô que vous avez retranché. — Un Ô, Madame ! — Eh oui, un Ô. — N’y a-t-il pas un vers qui dit : Que d’attraits ? — Oui, Madame.


Que d’attraits ! dieux ! qu’elle étoit belle !


— Justement, c’est là qu’est la faute. Il falloit dire : Ô dieux ! qu’elle étoit belle ! — Eh ! Madame, le sens est le même. — Oui, Monsieur ; mais, lorsque l’on cite, il faut citer fidèlement. Chacun est jaloux de ce qu’il a fait ; cela est naturel. Le président ne vous a pas prié de citer sa chanson. — Je l’ai citée avec éloge. — Il n’y falloit donc rien changer. Puisqu’il y avoit mis Ô dieux ! cela lui plaisoit davantage. Que vous avoit-il fait, pour lui ôter son Ô ? Du reste, il m’a bien assuré que cela n’empêcheroit point qu’il ne rendît justice à vos talens. »