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son ami vingt ans, et je ne lui ai rien demandé. Je m’étois fait de l’amitié une idée si noble et si pure, j’en avois moi-même dans l’âme un sentiment si généreux, que j’aurois cru la profaner et l’avilir que d’y mêler aucune vue d’ambition ; et, autant Mme de Chalut auroit été pour moi prodigue de ses bons offices, autant je croyois digne de moi d’être avec elle discret et désintéressé.

Je ne laissois pas de saisir les occasions de faire ma cour à ses maîtres, mais seulement pour lui complaire ; et, si quelquefois je faisois des vers pour eux, ce n’étoit jamais qu’elle qui me les inspiroit. À ce propos, je me souviens d’une scène assez singulière.

Mme de Chalut, après son mariage, n’avoit pas laissé d’être encore au service de la Dauphine ; elle n’en étoit même que plus assidue auprès d’elle. Cette princesse l’aimoit tant que ses absences l’affligeoient. Elle tenoit donc habituellement sa maison à Versailles ; et, toutes les fois que j’y allois, avant que d’y être établi, cette maison étoit la mienne. La convalescence du Dauphin, après sa petite vérole, y fut célébrée par une fête, et j’y fus invité. Je trouvai Mme de Chalut rayonnante de joie et ravie d’admiration pour la conduite de sa maîtresse, qui, nuit et jour, sous les rideaux du lit de son époux, lui avoit rendu les soins les plus tendres durant sa maladie. Le récit animé qu’elle