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Mme Du Bocage, chez qui nous soupions quelquefois, étoit une femme de lettres d’un caractère estimable, mais sans relief et sans couleur. Elle avoit, comme Mme Geoffrin, une société littéraire, mais infiniment moins agréable, et analogue à son humeur douce, froide, polie et triste. J’en avois été quelque temps ; mais le sérieux m’en étouffoit, et j’en fus chassé par l’ennui. Dans cette femme, un moment célèbre, ce qui étoit vraiment admirable, c’étoit sa modestie. Elle voyoit gravé au bas de son portrait : Forma Venus, arte Minerva ; et jamais on ne surprit en elle un mouvement de vanité. Revenons aux plaintes que faisoient de moi des gens d’un autre caractère.

Parmi les académiciens dont les voix ne m’étoient point assurées, nous comptions le président Hénault et Moncrif. Mme Geoffrin leur parla et revint à moi courroucée. « Est-il possible, me dit-elle, que vous passiez votre vie à vous faire des ennemis voilà Moncrif qui est furieux contre vous, et le président Hénault qui n’est guère moins irrité. — De quoi, Madame ? et que leur ai-je fait ? — Ce que vous avez fait ! votre livre de la Poétique, car vous avez toujours la rage de faire des livres. — Et dans ce livre, qu’est-ce qui les irrite ? — Pour Moncrif, je le sais, dit-elle, il ne s’en cache point, il le dit hautement. Vous citez de lui une chanson, et vous l’estropiez ; elle