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— Heureusement, lui dis-je, ce que vous rappelez m’est très présent, voici le fait : Mme de Villaumont vous voyoit pour la première fois, et, comme on faisoit cercle autour de vous, elle me demanda qui vous étiez. Je vous nommai. Elle, qui connoissoit dans les gardes-françoises un officier de votre nom, me soutint que vous n’étiez pas M. de Marivaux. Son obstination me divertit ; la mienne lui parut plaisante ; et, en me décrivant la figure du Marivaux qu’elle connoissoit, elle vous regardoit : voilà tout le mystère. — Oui, me dit-il ironiquement, la méprise étoit fort risible ! cependant vous aviez tous deux un certain air malin et moqueur que je connois bien, et qui n’est pas celui d’un badinage simple. — Très simple étoit pourtant le nôtre, et très innocent, je vous le jure. Au surplus, ajoutai-je, c’est la vérité toute nue. J’ai cru vous la devoir, m’en voilà quitte ; et, si vous ne m’en croyez pas, ce sera moi, Monsieur, qui aurai à me plaindre de vous. » Il m’assura qu’il m’en croyoit ; et il ne laissa pas de dire à Mme Geoffrin qu’il n’avoit pris cette explication que pour une manière adroite de m’excuser auprès de lui. La mort m’enleva son suffrage ; mais, s’il me l’avoit accordé, il se seroit cru généreux.

La dame de Villaumont, dont je vous ai parlé, étoit fille de Mme Gaulard, et la rivale de Mme de Brionne en beauté ; plus vive même et plus piquante.