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avoit le malheur de servir contre son ami la haine d’un Gusman, je lui… — N’achevez pas, me dit Thomas en me serrant la main ; ma réponse est faite, et bien faite. — Eh ! mon ami, lui dis-je, croyez-vous que j’en aie douté ? — Vous êtes cependant venu vous en assurer, me dit-il avec un doux reproche. — Non, certes, répondis-je, ce n’est pas pour moi que j’en ai voulu l’assurance, mais pour des gens qui ne connoissent pas votre âme aussi bien que je la connois. — Dites-leur, reprit-il, que, si jamais j’entre à l’Académie, ce sera par la belle porte. Et, à l’égard de la fortune, j’en ai si peu joui, et m’en suis passé si longtemps, que j’espère bien n’avoir pas désappris à m’en passer encore. » À ces mots, je fus si ému que je lui aurois cédé la place, s’il avoit voulu l’accepter, et s’il l’avoit pu décemment ; mais la haine de son ministre contre moi étoit si déclarée que nous aurions passé, lui pour l’avoir servie, moi pour y avoir succombé. Nous nous en tînmes donc à la conduite libre et franche qui nous convenoit à tous deux. Il ne se mit point sur les rangs, et il perdit sa place de secrétaire du ministre. On n’eut pourtant pas l’impudence de lui ôter celle de secrétaire-interprète des Suisses. Il fut reçu de l’Académie immédiatement après moi ; il le fut par acclamation, mais à une longue distance car, de 1763 jusqu’en 1766, il n’y eut point de place