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capsule noire qu’il y en avoit de noires dans la capsule blanche.

Or, par une espèce de divination, l’un des philosophes, Duclos, ayant prévu le tour qu’on vouloit leur jouer, avoit dit à ses camarades : « Gardons dans nos mains nos boules noires, afin que, si ces coquins-là ont la malice d’en donner, nous ayons à produire la preuve que ces boules ne viennent pas de nous. » Après avoir donc bien laissé d’Olivet et les autres fourbes éclater en murmures contre les malveillans : « Ce n’est pas moi, dit Duclos en ouvrant la main, qui ai donné une boule noire, car j’ai heureusement gardé la mienne, et la voilà. — Ce n’est pas moi non plus, dit d’Alembert, voici la mienne. » Watelet et Saurin dirent la même chose en montrant les leurs. À ce coup de théâtre, la confusion retomba sur les auteurs de l’artifice. D’Olivet eut la naïveté de trouver mauvais qu’on eût paré le coup en retenant ses boules noires, alléguant les lois de l’Académie sur le secret inviolable du scrutin. « Monsieur l’abbé, lui dit d’Alembert, la première des lois est celle de la défense personnelle, et nous n’avions que ce moyen d’éloigner de nous le soupçon dont on a voulu nous charger. »

Ce trait de prévoyance de la part de Duclos fut connu dans le monde, et les d’Olivet, pris à leur piège, furent la fable de la cour.