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cousins germains, faisant l’amour ensemble, la fille s’étoit trouvée grosse ; que, ni le curé ni l’official ne voulant leur permettre de se marier, ils avoient eu recours à lui, et qu’il avoit été obligé de leur faire venir la dispense de Rome. Je convins qu’en effet ce sujet, mis en œuvre, pouvoit avoir son intérêt. La nuit, quand je fus seul, il me revint dans la pensée, et s’empara de mes esprits, si bien que, dans une heure, tous les tableaux, toutes les scènes et les personnages eux-mêmes, tels que je les ai peints, en furent dessinés et comme présens à mes yeux. Dans ce temps-là le style de ce genre d’écrits ne me coûtoit aucune peine ; il couloit de source, et, dès que le conte étoit bien conçu dans ma tête, il étoit écrit. Au lieu de dormir, je rêvai toute la nuit à celui-ci. Je voyois, j’entendois parler Annette et Lubin aussi distinctement que si cette fiction eût été le souvenir tout frais encore de ce que j’aurois vu la veille. En me levant, au point du jour, je n’eus donc qu’à répandre rapidement sur le papier ce que j’avois rêvé ; et mon conte fut fait tel qu’il est imprimé.

L’après-dînée, avant la promenade, on me demanda, comme on faisoit souvent à la campagne, si je n’avois pas quelque chose à lire, et je lus Annette et Lubin. Je ne puis exprimer quelle fut la surprise de toute la société, et singulièrement la joie de M. de Saint-Florentin, de voir comme en