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Voltaire voulut être de la partie, et inutilement le pressâmes-nous d’aller se coucher ; plus éveillé que nous, il nous lut encore quelques chants du poème de Jeanne. Cette lecture avoit pour moi un charme inexprimable car, si Voltaire, en récitant les vers héroïques, affectoit, selon moi, une emphase trop monotone, une cadence trop marquée, personne ne disoit les vers familiers et comiques avec autant de naturel, de finesse et de grâce ; ses yeux et son sourire avoient une expression que je n’ai vue qu’à lui. Hélas ! c’étoit pour moi le chant du cygne, et je ne devois plus le revoir qu’expirant.

Nos adieux mutuels furent attendris jusqu’aux larmes, mais beaucoup plus de mon côté que du sien : cela devoit être, car, indépendamment de ma reconnoissance et de tous les motifs que j’avois de l’aimer, je le laissois dans l’exil.

À Lyon, nous donnâmes un jour à la famille de Fleurieu[1], qui m’attendoit à La Tourette, sa maison de campagne. Les deux jours suivans furent employés à voir la ville ; et, depuis la filature de l’or avec la soie jusqu’à la perfection des plus

  1. Jacques-Annibal Claret de Fleurieu (1693-1776), seigneur de La Tourette, terre située à Éveux, près de l’Arbresle (Rhône), prévôt des marchands de Lyon, et Marc-Antoine-Louis Claret de Fleurieu (1729-1793), secrétaire perpétuel de l’Académie de Lyon, ami de J.-J. Rousseau et de Voltaire.