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la poésie de style fut la première qui vieillit ; et après Tancrède, où ce feu du génie jetoit encore des étincelles, il fut absolument éteint.

Affligé de nous voir partir, il voulut bien ne nous dérober aucun moment de ce dernier jour. Le désir de me voir reçu à l’Académie françoise, l’éloge de mes Contes, qui faisoient, disoit-il, leurs plus agréables lectures, enfin mon analyse de la Lettre, de Rousseau, à d’Alembert sur les spectacles, réfutation qu’il croyoit sans réplique, et dont il me sembloit faire beaucoup de cas, furent, durant la promenade, les sujets de son entretien. Je lui demandai si Genève avoit pris le change sur le vrai motif de cette lettre de Rousseau. « Rousseau, me dit-il, est connu à Genève mieux qu’à Paris. On n’y est dupe ni de son faux zèle, ni de sa fausse éloquence. C’est à moi qu’il en veut, et cela saute aux yeux. Possédé d’un orgueil outré, il voudroit que, dans sa patrie, on ne parlât que de lui seul. Mon existence l’y offusque, il m’envie l’air que j’y respire, et surtout il ne peut souffrir qu’en amusant quelquefois Genève, je lui dérobe à lui les momens où l’on pense à moi. »

Devant partir au point du jour, dès que, les portes de la ville étant ouvertes, nous pourrions avoir des chevaux, nous résolûmes, avec Mme Denis et MM. Huber et Cramer, de prolonger jusque-là le plaisir de veiller et de causer ensemble.