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en m’embrassant. Je les possédai quelques jours. Mes amis eurent la bonté de leur faire un accueil auquel je fus sensible. Dans les dîners qu’on nous donnoit, c’étoit un spectacle touchant que de voir les yeux de ma sœur continuellement attachés sur moi sans pouvoir se rassasier du plaisir de ma vue. Ce n’étoit pas en elle un amour fraternel, c’étoit un amour filial.

À peine arrivée à Saumur, elle se lia d’amitié avec une parente de Mme de Pompadour, dont le mari avoit, dans cette ville, un emploi de deux mille écus. C’étoit l’emploi du grenier à sel. Ce jeune homme, appelé M. de Blois, se trouvoit attaqué de la maladie dont mon père, ma mère et mon frère étoient morts. Nous savions trop qu’elle étoit incurable ; et Mme de Blois ne dissimula point à ma sœur que son mari n’avoit que peu de temps à vivre. « Ce seroit pour moi, lui dit-elle, ma bonne amie, au moins quelque consolation si son emploi passoit à M. Odde. Mme de Pompadour en disposera ; engagez votre frère à le lui demander pour vous. » Ma sœur me donna cet avis ; j’en profitai ; l’emploi me fut promis. Mais, à la mort de M. de Blois, l’intendant de Mme de Pompadour m’annonça qu’elle venoit d’accorder ce même emploi, pour dot, à l’une de ses protégées. Frappé comme d’un coup de massue, je me rendis chez elle ; et, comme elle passoit pour aller à la